Lionel Lemarié, agriculteur bio & maire de Favrieux

Lionel Lemarié, agriculteur bio & maire de Favrieux

«Completement heureux et completement débordé»

Lionel Lemarié est producteur en grandes cultures, installé en 1987, converti à l’agriculture biologique en 2001. Avec lui c’est la preuve par l’exemple, Maire de la petite commune de Favrieux dans les Yvelines, il ne fait pas de prosélytisme, préférant laisser les gens, élus, agriculteurs, étudiants venir à lui. Et ça fonctionne : le projet de conversion fait tâche d’huile

Qu’est-ce qui conduit à se dire au bout de 20 ans, «allez je passe en bio ?»
En 1987, je me suis installé sur 25 ha. Mes parents et moi avions deux exploitations individuelles. En 1993, j’ai repris les terres des parents et celles d’un agriculteur voisin pour arriver à 100ha en grandes cultures conventionnelles (blé, maïs, colza). Je vendais aussi de la pomme de terre à des cantines, des cliniques, des écoles, ça marchait bien. La vente de pomme de terre assurait le revenu.
Progressivement, cette production s’est développée dans les grandes régions céréalières. Mon parcellaire n’était pas adapté à l’arrosage et avec la nature du sol, arroser n’était pas évident. Mais l’arrosage était nécessaire pour éviter d’esquinter les pommes de terre à l’arrachage. Donc j’arrivais de moins en moins à les vendre.

On commençait à avoir des problèmes de résistance aux désherbants surtout sur les céréales (au vulpin), le prix du blé baissait. J’avais l’impression d’arriver au bout d’un système. Une lassitude s’est installée progressivement. Je n’avais plus la motivation. A 35 ans ! Il y avait de quoi se poser des questions.

La moisson 2000 a été catastrophique : on avait eu un printemps humide ; des charges opérationnelles assez élevées et pas de rendement à la clé. On était dans un système très intégré, au mois d’octobre il fallait décider des traitements qu’on allait mettre à l’épiaison, on n’avait plus l’impression de maîtriser notre métier.

A côté, mon voisin M. Dupille avait démarré une conversion en bio. En 2000, il a fait 35 quintaux de renan en ayant «rien» fait. Il était satisfait de son rendement et surtout de sa marge. C’est grâce à lui si nous sommes partis en bio.

A l’époque, il y avait les aides à la conversion sur 5 ans ; je me suis dit qu’on ne risquait rien, par rapport aux problèmes de trésorerie qu’on accumulait. J’en ai parlé à mon beau-frère, Thierry, installé sur l’exploitation voisine. Nous faisions la moisson ensemble depuis 92.
Décision prise en décembre-janvier et au mois de mars 2001, j’ai converti 20ha, lui un peu plus.

Comment êtes-vous accompagné à l’époque ?
On a été appuyé par la chambre d’agriculture du 77. C’était les débuts de Charlotte Glachant et surtout des conseillers Alain Tirou et Claude Aubert (NDLR: premier animateur du GAB). On a fait un CTE (Contrat Territorial d’Exploitation) bio. Ca nous a aidé à démarrer.
Les aides à la conversion permettent de compenser le manque à gagner pendant que nous vendons en conventionnel, ce que l’on produit en bio. Avec les aides à l’investissement, on avait acheté chacun notre bineuse et une herse étrille en commun.

Quel est l’avantage d’avancer à 2?
La mutualisation des idées. Tout seul, je ne sais pas si on serait partis. En 2000, on se sentait un peu seuls dans notre coin. Le voisin aussi était content qu’on s’engage. A trois, ça fusionnait.

N’avez-vous jamais pensé vous associer Thierry et toi ?
Non. Nous avons des qualités de sol différentes. Et puis lui a deux enfants qui risquent de s’installer sur l’exploitation et moi les deux poursuivent des études en agriculture, donc nous ne manquons pas de repreneurs. Peut-être que tout le monde s’entend bien parce que les exploitations sont séparées. Le fait de mutualiser les idées, le matériel, le stockage des productions même, ça n’est vraiment pas un problème, mais on n’a jamais eu envie de mélanger les comptabilités.

Comment vois-tu la rentabilité de l’exploitation aujourd’hui ?
Le passage en bio a changé la santé financière de l’exploitation. Les rendements sont divisés par 2,5, mais on a des aides au maintien et nos productions sont bien vendues. Le blé vaut plus de 400 euros la tonne cette année.
Après, on fait 2 fois plus d’heures qu’un agriculteur conventionnel. Nos deux tracteurs de tête font 1000h/an, c’est énorme. Notre matériel est bien amorti, mais on passe beaucoup de temps sur nos exploitations. On a moins de temps à nous qu’avant. Et puis je dis toujours que les charges phyto qu’on n’a pas, on les met dans le matériel.

Et au niveau de ta propre santé, as-tu noté des changements ?
C’est au niveau des semis qu’on s’en rend le plus compte : quand on sème le maïs, on n’a plus mal à la tête. En conventionnel, il était traité au gaucho. Aujourd’hui on prend la semence de maïs à pleine main, le blé c’est pareil. On ne fait plus d’insecticides sur les blés d’épiaison. On est moins stressé pour les semis, ils s’étalent sur une plus longue période...
L’approche n’est pas la même. On travaille plus avec le sol et avec les plantes. Il faut arriver à perdre le reflexe conventionnel qui consiste à vouloir intervenir dès qu’on voit une mauvaise herbe ou un insecte, pour le détruire. Ca s’apprend petit à petit.

Propos recueillis par Fanny Héros, chargée de Communication aux adhérents du GAB IdF et multimedia 07 96 51 87 33

Extrait de l'entretien publié intégralement dans le Francilien Bio (n°45), et réalisé dans la cadre du projet «Portraits d’agriculteurs», soutenu par l’Agence de l’Eau Seine Normandie. Ces portraits sont des outils de sensibilisation à l'agriculture.

 

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