Rémi Seingier, agriculteur bio en grandes cultures

«‘Etre en bio’ est une condition pour que je sois agriculteur»
Rémi Seingier est agriculteur bio par idéologie. Arrière-petit fils d’agriculteurs briards, c’est au Brésil qu’il découvre l’importance de cultiver la terre. Le paysagisme qu’il exerce alors, passe au second plan et avec sa femme, ils construisent le projet de reprise en bio de la ferme familiale. Aujourd’hui, la conversion progressive des terres est lancée. Creusant ses propres sillons dans le sillage des parents, Rémi plante des arbres, diversifie les cultures, transforme, expérimente... En deux heures de discussion, défile un siècle de la vie d’une ferme..., une histoire qui finit «bio».
Peux-tu dire quelques mots sur l’histoire de la ferme?
Je suis la 4e génération installée dans cette ferme. Mon arrière-grand-père a acheté entre les deux guerres. Mon grand-père s’est installé avec son frère de 1950 à 80 pour faire de la pomme de terre. Il vendait tout en coopérative. Mes parents ont repris en GAEC avec mon oncle et ma tante jusqu’en 91. Puis mon oncle est parti dans le Maine et Loire avec ses vaches laitières. Mes parents sont restés. Ils ont diversifié les cultures et vendent en circuits courts et en restauration collective. A l’origine, la ferme faisait 200 ha, aujourd’hui 130. A la scission du GAEC, mon oncle a gardé des terres pour conserver ses quotats laitiers. Je suis installé sur 38ha convertis en bio. On convertit petit à petit le reste pour qu’en 2019, au départ des parents, elles soient en bio.
Comment en arrives-tu à la reprise de cette ferme?
Je suis paysagiste. Lors d’un voyage avec Claire, mon épouse, et grâce à un fil rouge - la récolte d’échantillons de graines - , nous avons échangé pendant 4 mois avec des petits paysans qui cultivaient en agroforesterie. On a rapporté plus de 100 sortes de graines et plein d’expériences. Créer des jardins est devenu secondaire. J’ai repris une licence en biologie dans les sciences du végétal. On est partis à Brest. Claire, qui est microbiologiste marin, travaillait à l’Ifremer. De là-bas, on s’est décidé à reprendre la ferme. C’était en 2011. Je faisais les navettes entre Brest et ici pour faire les plantations.
Aujourd’hui, je mets les cultures en place. Claire doit s’installer sur la ferme d’ici un peu plus d’un an. avec un projet de plantes aromatiques. Pour l’instant, elle valide un master en microbiologie avant d’entamer une thèse en agroforesterie.
Comment est venue l’envie de convertir la ferme en bio?
Le propriétaire de mes parents souhaitait vendre et ils ne pouvaient pas racheter. Ils ont fait appel à Terre de Liens qui impose d’être en bio. Ils sont en agriculture raisonnée, mais le bio n’était pas une volonté de leur part. Pour moi «être en BIO» est une condition pour que je sois agriculteur. Et pour valoriser ses produits, il vaut mieux avoir un label. Alors c’est une contrainte idéologique.
Est-ce que tu profites de la conversion pour diversifier les productions?
Je diversifie pas mal. Depuis plus de 10 ans, ma mère fait de l’huile de colza. Je fais du colza en bio. Je suis un des seuls du département, parce c’est 11 mois de risque d’aléas climatiques... Je fais du chanvre et de la cameline pour l’huile. J’ai intégré d’autres petites choses dans mes sables comme du seigle, du sarrasin, ça ajoute à la diversité.
On va mettre aussi du thym qu’on récoltera dans 1 an ou 2, comme ça Claire aura quelque chose à produire quand elle démarrera.
Et puis je fais des asperges. Sur cette surface, je ne peux pas aller beaucoup plus loin. Quand le reste sera en bio, je pourrais avoir une rotation beaucoup plus longue avec du tournesol, d’autres plantes oléagineuses, continuer la pomme de terre et puis d’autres légumes, haricots verts...
Tu fais aussi la transformation des huiles et la vente à la ferme?
Oui, on fait aussi de la farine de blé et de seigle. On commercialise dans la boutique à la ferme, dans les boutiques des collègues du réseau Bienvenue à la Ferme, à la Ruche qui dit Oui. J’ai les magasins bio du coin. La Vie Claire à Coulommiers, la Biocoop de Chevry Cossigny…
Au niveau économique, tu t’en sors?
Je ne sais pas trop si je m’en sors. L’année dernière, on a eu une année difficile au niveau des récoltes, là je rame un peu au niveau de la trésorerie. L’argent n’est pas quelque chose qui m’arrête trop, c’est un outil qui fait causer. Je me tire un salaire. Je ne sais pas encore si c’est suffisant.
Tu as pris l’initiative de mettre de l’agroforesterie dans les parcelles, quel est l’avantage pour les cultures?
Mes parents ont découvert l’agroforesterie au Cambodge en 2008. On ne sait plus aujourd’hui qui en a eu l’idée pour la ferme.
L’avantage, il faut qu’on le découvre. Claire va s’y atteler dans le cadre de sa thèse sur les interactions microbiologiques entre les arbres et les cultures dans le sol.
L’Agence de l’Eau Seine Normandie a financé une partie du projet agroforestier. Par quel mécanisme l’arbre est-il bénéfique pour la protection de l’eau?
L’arbre puise et filtre. Il va capter en profondeur ce que les plantes plus juvéniles, annuelles ou biannuelles cultivées ne vont pas réussir à aller chercher (des nitrates lyxiviés, des phosphates...) et filtrer. Et puis il aide à limiter l’érosion du bassin versant... sur ma parcelle, ça n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça.
Avec ton épouse, vous avez rejoint le projet CASABIO, partenariat GAB Idf / INRA sur la conception et l’évaluation de mélanges variétaux de blés adaptés à l’AB. Est-ce par goût pour la connaissance scientifique ou par intérêt pour les cultures ici?
Les deux. J’avais dit à Bastien que j’étais ouvert à ce genre d’expérience du coup il est venu me voir quand l’opportunité s’est présentée. Mon attente c’est de m’ouvrir à autre chose que d’être dans mon champ persuadé que je fais bien parce que personne ne me remet en question. S’ouvrir vers un autre milieu, scientifique, mieux comprendre comment fonctionne une culture, échanger avec d’autres paysans, mieux connaitre mon sol, adapter les plantes à ce sol...
J’ai observé que le seigle qui est une paille très haute, est sec beaucoup plus facilement quand tu le récoltes, c’est plus propre au niveau de la graine et les pailles restituent davantage de matière organique au sol. Et puis, la hauteur du blé, quand on est en bio, sans désherbage chimique, c’est un gage de concurrence cohérent : les plus grands ont plus de lumière, poussent mieux.
Les chercheurs ne récoltent pas, ils vont observer. Cet échange-là est très important. Mine de rien on est dans la même filière et on se croise rarement, c’est important de se rencontrer.
Propos recueillis par Fanny HEROS chargée de communication aux adhérents et multimedia du GAB IdF - 07 86 51 87 33
Extrait de l'entretien publié intégralement dans le Francilien Bio (n°44), et réalisé dans la cadre du projet «Portraits d’agriculteurs», soutenu par l’Agence de l’Eau Seine Normandie. Ces portraits sont des outils de sensibilisation à l'agriculture biologique.